Le développement psychospirituel et son importance chez les personnes âgées
Consacré au soutien à la personne et actif depuis l’automne 2024, le groupe de travail « Culture et médecine du troisième âge » publie les résultats de ses travaux sur la plateforme Anthromedics. Les problématiques et les enjeux abordés concernent notamment la mise en évidence des liens entre enfance et vieillesse.
Que signifie la vieillesse dans notre société ? Dans les systèmes traditionnels, elle jouissait d’une grande considération : les conseils avisés des anciens étaient recherchés et respectés. Nous en sommes aujourd’hui souvent très loin. Parfois, quand une personne âgée dégage une aura inspirant la modestie, voire le respect, la chose peut être vécue comme une lueur d’espoir. Dans notre conception actuelle de la vie, ces personnes ne sont pas la norme, phénomène que l’anthroposophie éclaire aisément.
Nous vivons implicitement, au vu des opinions actuelles, dans l’hypothèse, peut-être erronée, que l’être humain a achevé son développement à un certain âge et que son évolution biologique est achevée. Des prothèses peuvent tout au plus optimiser ou remplacer certaines fonctions corporelles, mais quid de l’évolution ou du développement à un âge avancé ? En quoi cela consisterait-il ? Or, en gériatrie, pour développer des idéaux, il faut partir du principe d’une évolution continue.
Exploiter le potentiel du moi
Selon Rudolf Steiner, cette évolution n’est pas achevée : alors que dans l’évolution humaine, le développement physique était lié, sur de longues périodes, au développement psychospirituel et se déroulait en parallèle jusqu’à un âge avancé, cette capacité diminue de plus en plus à l’époque moderne : les processus du développement psychospirituel ne dépendent plus du physique et s’achèvent « naturellement » de plus en plus tôt.1
Ainsi, au cours de sa vie, l’évolution de l’être humain actuel se déroule principalement sur le plan psychique. Il a désormais, vers vingt-huit ans, la possibilité de se développer sur le plan psychospirituel de sa propre initiative ou d’en rester plus ou moins au stade de maturation intérieure atteint à cet âge.
D’un point de vue anthroposophique, certaines forces structurantes et de soutien qui l’ont aidé jusque-là se retirent. Le développement du moi peut alors se poursuivre de façon modérée jusqu’à un âge avancé : le potentiel du moi n’est pas exploité ou la chance de s’éduquer soi-même est gâchée, ce qui fait que des soixantenaires, par exemple, semblent avoir vingt ans. Aujourd’hui, dès vingt-huit ans, on devrait donc être capable d’accueillir spirituellement ses impulsions intérieures et psychiques, et de les exprimer. Développer un regard sur ces phénomènes sociaux peut devenir un outil précieux pour le travail pratique.
Pour l’anthroposophie, l’évolution va désormais conduire à un déplacement progressif de cette capacité de développement psychique interne vers l’âge de vingt-huit ans au cours des siècles à venir. Cela signifie qu’aujourd’hui, nous pouvons déjà observer ce « point final du développement » à l’âge de vingt-sept ans.1
Conséquences d’un développement non réalisé
Que signifie cela pour notre compréhension de la culture de l’âge et de la gériatrie ? Nous rencontrerons des personnes qui, après vingt-huit ans, voire dès vingt-sept ans, n’ont pu réaliser ce qu’elles auraient peut-être pu développer en termes d’idéaux, de valeurs ou de motifs de vie « oubliés ». Ces parcours peuvent alors donner naissance à des êtres qui, à un âge avancé, manquent de maturité et de sagesse. Cela les rend inintéressants aux yeux des plus jeunes lors d’une première brève rencontre et peut ensuite inciter leur entourage à adopter à leur égard un comportement peu aimable. Ces faits influencent malheureusement l’attitude générale de la société d’Europe centrale envers la vieillesse.
La gériatrie consiste toutefois à apprendre le sens de ces zones « obscures » d’une biographie et à pressentir avec compassion, derrière son besoin d’aide, l’être qui a probablement connu des conditions de vie difficiles et n’a pu trouver la juste initiative, peut-être en raison de conditions historiques catastrophiques et de traumatismes transgénérationnels. Adopter ce point de vue permet de renouveler sa façon d’aider l’autre.
On peut, avant toute chose, adopter une attitude et une intention visant à stimuler ou à favoriser chez la personne âgée dans le besoin, dans la mesure de ses possibilités, un certain développement intérieur. Ce devrait aussi être une raison pour adopter, auprès du grand âge, une approche réhabilitatrice, qui met généralement l’accent sur l’autonomie fonctionnelle, attitude qui retarde quelque peu le besoin de soins.
Une enfance heureuse favorise généralement une vieillesse sans problème de santé
Ces réflexions concernent la biographie humaine. Les conditions de vie lors de l’enfance et l’adolescence se reflètent dans la vieillesse et se traduisent par des troubles psychiques ou physiques. Une étude menée pendant de nombreuses années sur des religieuses2 est un exemple bien connu des chercheurs : ses résultats ont montré qu’une enfance heureuse est un facteur pronostique important pour la santé des ainés.
À l’inverse, un tel lien soulève des questions importantes qui éclairent la santé, tant du point de vue général que dans les sociétés sujettes aux traumatismes. Les indications de Rudolf Steiner concernant ces liens sont connues depuis plus de cent ans3, mais guère prises en compte par la médecine conventionnelle. Pour prouver l’existence de tels liens, il faut également faire preuve de persévérance dans la recherche et disposer de modèles de recherche appropriés.4 Ceux-ci sont encore trop rares, mais les indications en ce sens se multiplient.
Il est impératif d’introduire ces points de vue dans la culture du vieillissement et la médecine : ce n’est que sur la base de ces connaissances que les processus sociaux pourront être modifiés. L’éducation des jeunes enfants et la scolarité sont des facteurs de santé pour toute la vie. Les soins aux personnes âgées dépendent donc de ce qui s’est passé dans leur éducation soixante-dix ou quatre-vingts ans auparavant. Pour parler en image, les soins à donner aux ainés peuvent signifier sortir l’enfant, après plusieurs décennies, du puits dans lequel il était tombé à l’époque.
Distinguer les concepts d’âge et de maladie
L’image d’une vieillesse déficitaire est une vue superficielle, souvent à l’origine d’un manque d’amour dans les relations humaines. Le déficit d’attention dans les soins aux personnes âgées est aujourd’hui un sujet d’actualité, par exemple lorsque des programmes de prévention de la violence doivent être mis en place pour maintenir la qualité des soins dans les institutions qui les accueillent. Comprendre que la vie humaine est un chemin de développement permanent nous donne des repères pour soutenir efficacement chacune de ses étapes.
Il existe aussi bien sûr des personnes âgées en bonne santé, dont les ressources sont telles qu’elles restent autonomes jusqu’à un grand âge. Ces vieillards constituent une précieuse ressource pour la société. Le problème social concerne ceux qui ont besoin d’aide trop tôt, qui perdent leur autonomie prématurément en raison de maladies chroniques et tombent dans la dépendance vis-à-vis des soins médicaux et infirmiers en raison d’une addiction, d’une maladie ou de troubles de la mémoire.
Il est donc judicieux de distinguer, concrètement et conceptuellement, vieillesse et maladie. S’il est vrai que la maladie est plus susceptible de survenir avec l’âge, vieillesse et maladie sont néanmoins fondamentalement différentes.
Notes
[1] Rudolf Steiner, GA 177, 30 septembre 1917.
[2] Deborah D. Danner, David A. Snowdon, Wallace V. Friesen, « Positive Emotions in Early Life and Longevity: Findings from the Nun Study », Journal of Personality and Social Psychology, 2001 ; 80(5) : 804-813
[3] Rudolf Steiner, GA 306, 15 avril 1923.
[4] Elaine Holt, « Educating for a Creative Future », SSRN Electronic Journal.