«Sans art, le monde se sclérose »

«Sans art, le monde se sclérose »

01 mai 2019 Sebastian Jüngel 4753 vues

Bronze, pierre et bois : le sculpteur Rik ten Cate travaille avec ces matériaux. Marié, père de quatre enfants, enseignant, chargé de cours d’art à l'université, ce familier des questions sociales participe depuis 2014 au Comité directeur de la Société anthroposophique des Pays-Bas, dont il est le représentant depuis avril.


Sebastian Jüngel : Comment avez-vous appris que vous alliez devenir Secrétaire général ?

Rik ten Cate
: À l’automne, au sein du Comité. Nous disions que nos cinq années de mandat passeraient vite. Trois d’entre nous, dont Jaap Sijmons, expliquèrent qu’ils ne seraient pas disponibles pour un autre mandat et il proposa que je lui succède.

Jüngel
: Comment l’avez-vous pris ?

Ten Cate
: Quand je lui ai demandé « Pourquoi moi ? », il cita mon cheminement anthroposophique rigoureux en tant qu’enseignant et professeur d’université et mon travail dans la Section des arts plastiques aux Pays-Bas et au Goetheanum. Il évoqua aussi le fait que je connaissais beaucoup de monde aux Pays-Bas, au Goetheanum et dans le monde. Alors, je me suis dit : « Oui, c’est vrai. » J’ai pensé qu’on pourrait envisager d’autres personnes, mais qu’elles n’avaient pas toutes la possibilité de voyager autant. Je me suis dit que je n'aurais pas postulé pour cette tâche, mais que je pouvais dire oui.

Jüngel
: En quoi Jaap Sijmons a-t-il été pour vous un modèle ?

Ten Cate
: C’est un scientifique, un juriste, il a étudié la philosophie et a travaillé sur de grands thèmes comme Christian Rosecroix et les douze conceptions du monde. Il connaît par cœur les statuts de la Société anthroposophique générale de 1923-24. J’admire sa capacité à prendre des responsabilités, à s’engager, à défendre son point de vue.

De l’intérêt pour les productions, mais pas pour la source

Jüngel : Quelle impulsion apportez-vous à la Société anthroposophique ?

Ten Cate
: Il y a 5 ans, nous avons vécu aux Pays-Bas, dans la Société anthroposophique, une situation désastreuse. Chez de nombreux membres, notre nomination dans un nouveau Comité directeur a fait l’effet d’un putsch. Il fallut du temps pour rétablir la confiance. Je crois que la Société anthroposophique repose à présent sur de bonnes bases. Mais les 20 premières années du 21e siècle sont déjà passées. Pensons à tout ce que Rudolf Steiner a accompli en autant de temps ! Le travail anthroposophique se fait certes partout dans le monde, les écoles Waldorf des Pays-Bas ont de longues listes d’attente, la nourriture bio est tendance, la banque Triodos a plus d’argent qu’elle ne peut investir, on note de l’intérêt pour les réalisations nées de l’anthroposophie… Mais où est l’intérêt pour la Société anthroposophique, pour se nourrir à sa source, d’où jaillit tout ce dont j’ai parlé ? Il nous faut désormais travailler à devenir une Société moderne, sans autorité ni pédanterie, sans délimitation des différents domaines de travail des sections les uns par rapport aux autres. Et aux Pays-Bas, nous sommes aussi confrontés à des problèmes : des médicaments anthroposophiques, par exemple, sont interdits.

Ouverture, sincérité et respect vis-à-vis des entités supérieures

Jüngel : Nous avons dans l’École de Michaël une relation étroite au monde spirituel et nous sommes, à travers notre activité dans le monde, dans la nécessité d’agir avec pragmatisme, en conformité avec les conditions de ce monde. Comment gérez-vous en tant que Comité ces deux données ?

Ten Cate
: Je me ressens comme un enfant du courant de Michaël. Il représente l’ouverture, la sincérité. Rien ne peut être masqué, tout se manifeste. Ce qu’on cache vit dans l’ombre, en lien avec les entités correspondantes. Nous n’avons pas besoin de cela, nous avons assez de problèmes en plein jour. Il faut tenir compte des données dont vous parlez. Est-ce que l’être de l’anthroposophie est reconnu par nos actes ? Est-il blessé ? Vraiment blessé ? Sommes-nous par exemple à la hauteur des formes du Goetheanum, des vitraux, de la fresque au plafond ? Tout cela mérite protection. Or le mystère n’est pas dans les mots en soi mais, dans la façon et le geste par lesquels ils sont dits.

Jüngel
: Que peut apprendre le monde des Pays-Bas ?

Ten Cate
: Nous apprécions ce que le vent et l’eau apportent : la mobilité, la clarté et l’humour, la danse et le chant aussi. Rudolf Steiner a souligné que nous sommes des hommes et des femmes du monde.

Jüngel
: Que peuvent apprendre les Pays-Bas du monde ?

Ten Cate
: À accueillir un contenu sérieux et profond (mais il existe suffisamment de personnes aux Pays-Bas qui le font). Ce que je veux dire, c’est de ne pas oublier les enjeux de l’anthroposophie et le fait que des êtres supérieurs lui sont liés. Même si beaucoup de cultures sont présentes chez nous, nous devons réaliser que l’anthroposophie vit aussi en Russie par exemple, ou en Islande, qu’elle a là-bas un autre visage, qu’elle est accueillie avec un autre esprit. Ce qui m’a frappé dans la rencontre des représentants des différents pays, c’est que beaucoup d’Européens représentent des pays non européens. Il me semble que cela ne pose pas de problème pour des relations cordiales entre les personnes, mais les pensées ne sont pas encore internationalisées.

Revenir à la légèreté

Jüngel : Que répondriez-vous à une télévision vous demandant de définir l’anthroposophie en une minute et demie ?

Ten Cate
: Ma réponse serait basée sur la première Directive : « L’anthroposophie unit l’esprit en l’homme à l’esprit dans l’univers. Cela signifie que l’anthroposophie agit dans le savoir et la conscience qu’il existe un monde physique et un monde spirituel avec des êtres spirituels. C’est la base du travail ésotérique. »

Jüngel
: Avez-vous vécu une situation qui vous a fait sourire ?

Ten Cate
: Le Comité a eu un jour une rencontre difficile avec des membres. On nous faisait le reproche de dire aux membres ce qu’ils devaient faire, comme un père ou une mère. J’ai répondu : « Je suis heureux de ne pas être votre père. » Un des membres s’est mis à rire et a dit : « Ça, je peux le comprendre ! » J’attache de l’importance à ce que, dans toutes nos difficultés, nous revenions toujours à la légèreté. L’art le permet. Sans art, le monde se sclérose et cesse de tourner.


Rectification

Médicaments anthroposophiques

Il est écrit que ces médicaments sont interdits aux Pays-Bas. Il est plus juste de dire que certains bénéficient d’une AMM et sont donc officiellement autorisés. On peut se les procurer par le biais du réseau Weleda des Pays-Bas.

Web http://www.antroposofischevere...