Le cadeau de la pandémie

Le cadeau de la pandémie

17 février 2022 Gerald Häfner 4669 vues

Certains pays suppriment les mesures sanitaires, d'autres maintiennent le statu quo, d'autres encore les renforcent. La vaccination obligatoire semble être le tournant décisif permettant de sortir de la pandémie, avec deux types de scénarios pour l'avenir. Vers quel « monde d’après » voulons-nous aller ? Louis Defèche s'est entretenu avec Gerald Häfner, de la section des sciences sociales du Goetheanum, sur la situation actuelle en Allemagne.


Que penses-tu de la vaccination obligatoire ?

Il y a six mois, nous avons eu des élections législatives en Allemagne. Tous les grands partis ont déclaré pendant la campagne électorale qu'ils n’imposeraient pas d'obligation vaccinale. Ils l'ont promis. Je trouve remarquable qu’on revienne si vite sur une parole donnée. Cela ne renforce pas la confiance de la population dans la démocratie, les parlements et la politique. Ce qui est à l’évidence encore plus absurde, c'est qu’on planifie la vaccination obligatoire à un moment où la situation a déjà complètement évolué. Le virus est en constante mutation, ce qui était d’emblée évident. Actuellement, les personnes vaccinées sont aussi contagieuses que les non vaccinées, seule l'évolution de la maladie est légèrement différente. Le virus passe de plus en plus facilement à travers nos défenses immunitaires, on se contamine de plus en plus vite, mais le cours que prend la maladie est de plus en plus léger. Le nombre de lits d'hôpitaux occupés et de patients baisse de semaine en semaine, tout comme les décès et beaucoup de personnes touchées ne présentent même aucun symptôme. Très peu de personnes sont encore fortement menacées, du fait de certaines maladies préexistantes ou d'une extrême faiblesse due à leur âge. Ce sont elles qu'il faut protéger. Et il faut renforcer notre immunité. Il y a d'autres moyens de le faire. Une obligation vaccinale imposée par la loi pour l'ensemble de la population n'est ni nécessaire, ni judicieuse.

Comment expliques-tu que l'État agisse de manière quasi autoritaire ?

Il existe un climat de peur. Une peur qui a été en partie attisée. Elle repose sur une compréhension extrêmement étroite et indifférenciée de la maladie, qui se focalise uniquement sur le virus et considère la vaccination comme l’unique solution. On l’a présentée aussi dès le début comme la solution ultime. On s’est engagé dans une sorte de « guerre » contre le virus (Emmanuel Macron), car on pensait pouvoir gagner. Pendant une longue période, d'autres points de vue, plus complexes, plus nuancés, n'ont pu se faire entendre. C'est ainsi qu’enfants et adultes ont été soumis au confinement et que l'on a souvent interdit ce qui, précisément, aide à se renforcer contre le virus. Ce qui était juste ponctuellement est généralement faux sur le long terme. Car le virus ne disparaîtra pas. Nous devons commencer à apprendre à vivre avec lui.
L'ancienne façon de penser les choses a toujours cours actuellement parce qu'elle a été instaurée de cette façon, alors même que la réalité change. L'incidence est certes élevée, mais les pathologies diminuent et la maladie prend des formes plus légères. Cela signifie que nous commençons à vivre avec le virus. Mais dans certains pays, les institutions et la politique mettent du temps à réagir. Tout se passe comme si on était pris dans la toile des pensées d'hier. En Allemagne, le débat sur l’obligation vaccinale est actuellement en cours au Parlement. Cela donne l'impression d'être hors du temps. Mais cela pourrait aussi être l'occasion d'une redéfinition individuelle et communautaire. On a toutefois décidé qu’il y aurait un vote. Cela signifie qu’on ne considère pas cela comme un débat politique partisan, mais comme une question de conscience. Chaque député doit donc réfléchir et décider lui-même comment il voit les choses. L'obligation vaccinale est-elle utile ou non ? Beaucoup, y compris les médias, considèrent cela comme une faiblesse. Le chancelier n'aurait pas d'autorité. Ils exigent un mot d'ordre du gouvernement. Cela témoigne de façons de penser et de débats dépassés.
Un autre phénomène concerne les clivages dans notre société, sa polarisation extrême. Cela m'inquiète beaucoup. Nous devons apprendre à nous écouter et à aller les uns vers les autres. Si une loi rend à présent la vaccination obligatoire, je pense qu'il est irréaliste de croire que tous ceux qui s'y sont opposés jusqu'ici changeront d'avis avec enthousiasme et iront chez le médecin. L'obligation vaccinale ne comblera pas les fossés au sein de la population, bien au contraire. Les divisions vont encore s'accentuer. De nombreuses personnes seront encore plus révoltées.
Si j’étais médecin, je ne souhaiterais pas davantage être contraint de vacciner un patient qui, en réalité, le redoute et ne le veut pas. Ce qui est pensé ici me fait peur. D'autant plus que l'on ne sait pas où cela s'arrêtera. De combien de rappels aura-t-on besoin ? À quelle fréquence ? Qui en décidera ? Sur ce point, je serais heureux qu’on regarde un peu plus l'évolution de la pandémie et que l'on en tire des enseignements, j’aimerais qu’on regarde les chiffres, les évolutions, la situation d'autres pays qui ont depuis longtemps renoncé aux mesures sanitaires et qu’on se libère de cet épouvantail de l’obligation vaccinale.

Même si la pandémie se poursuivait, le fait de forcer les gens à suivre un traitement relève déjà d’une « éthique » particulière. Le souhaitons-nous au plan politique ?

Beaucoup de choses sont possibles. Mais est-ce juste ? Je ne pense pas que la vaccination obligatoire soit nécessaire, utile ou légitime. Ma conception des compétences de l'État s'arrête bien avant cela. L’État doit respecter la dignité et la liberté de l'être humain ainsi que l'inviolabilité du corps. Regardons en arrière à l’époque de la stérilisation forcée des personnes porteuses de handicap. On a tenté de les empêcher d’avoir des enfants. Cela remonte à l'époque nazie. On appela cela la « prévention des maladies héréditaires », et c'est lié à la notion de « vie indigne d'être vécue ». L'État décidait de rendre stériles les personnes dont on pensait qu’elles ne pouvaient décider une telle chose par elles-mêmes. Nous avons abrogé cette disposition et dit que l'État ne pouvait prendre une telle décision. Plus encore : aucune intervention médicale ne peut plus être effectuée sans le consentement de la personne concernée.

On débat aujourd’hui de la question de la transparence des contrats entre l'Union européenne et les fabricants de vaccins. As-tu un avis sur cette question ?

C'est un autre page sombre de cette pandémie. Mais je voudrais dire ici qu'il y a aussi des chapitres lumineux. Le grand élan de solidarité, l'engagement inconditionnel pour chaque vie humaine, la mise au point rapide de vaccins pour protéger les personnes menacées, tout cela est absolument impressionnant ! Mais la manière dont ces vaccins sont aujourd’hui commercialisés et achetés me semble tout simplement amorale. C’est vrai également des bénéfices qui en découlent. En très peu de temps, quelques personnes, des entreprises et des investisseurs sont devenus immensément riches sur le dos de la détresse qui a saisi le monde. Dans le même temps, 180 millions de personnes supplémentaires ont basculé dans la précarité. Et il y a des pays où les gens n'ont absolument aucune chance de se procurer le vaccin. S'il s'agissait vraiment de protéger tout le monde, on pourrait le proposer à un prix beaucoup plus bas, et ce de manière égale pour tous. Mais ce n'est pas le cas. Les pays riches se sont assurés le vaccin dans le cadre de contrats exclusifs portant sur des sommes exorbitantes, et en outre dans des quantités obscènes. L'Allemagne a ainsi acheté à elle seule 660 millions de doses. On pourrait ainsi vacciner chaque Allemand huit fois. Si on pense que la vaccination devrait être accessible à tous, une telle accumulation de vaccins n'a guère de sens.
Parallèlement, les fabricants de vaccins ont été dégagés de toute responsabilité. En cas de préjudice, le risque est supporté par le client, c'est-à-dire ici par l'État. C'est ce qui est écrit dans différents documents. Mais rien n'est sûr, car les contrats eux-mêmes continuent à rester secrets. La Commission européenne négocie d'énormes contrats ; nous autres, les citoyens, nous payons et nous en supportons les conséquences, mais ni le public, ni le Parlement européen ne savent ce qu'ils contiennent. Je trouve cela inquiétant, d'autant plus que ces contrats ont été conclus à un moment où l'on ne disposait pas encore d'une expérience suffisante quant aux conséquences à moyen et long terme. Et d’un point de vue démocratique, ce n'est pas du tout acceptable.

Si nous considérons cette pandémie, les mesures politiques et tout ce qui s'est passé comme symptôme d'une évolution de la civilisation, qu'est-ce que cela nous dit ? Allons-nous vers une civilisation technocratique et hygiéniste ou apprenons-nous ce qui débouche sur une nouvelle conception de la vie en commun ?

Pour l'instant, nous assistons à une montée du paternalisme, de l'autoritarisme, de l'obsession du contrôle et à une perte de courage pour aller vers la liberté et l'autodétermination, ce qui, associé aux nouvelles possibilités technologiques et psychotechniques, me fait très peur.
Mais les deux sont possibles. En dépit de toutes les rumeurs, des stratégies et des scénarios apocalyptiques, l’avenir est ouvert. Et il est entre nos mains.
En fait, nous avions déjà pris de l’avance. Nous avons vu de plus en plus de personnes développer une sorte de pensée post-matérialiste. La conscience écologique grandissait, en rapport avec la question du climat. On sentait que si nous voulions continuer à vivre ensemble sur cette planète, nous devions devenir plus attentifs, plus prévenants, ne pas revendiquer plus que ce que nous donnons en retour. Nous en étions là, face à une grande question écologique, sociale, une question de conscience. Et la pandémie est arrivée, comme un intermède, un arrêt sur ce chemin, et avec elle la peur. Or, la peur nous rend étroits, rigides, elle nous fige. Depuis, tout le monde a les yeux rivés sur ce virus. Beaucoup pensent qu'on ne peut résoudre la crise que par décrets, restrictions, dispositions, « moyens techniques » venus d'en haut. Chaque idée entraîne des conséquences. Si par exemple on introduisait l’obligation vaccinale en Allemagne, on devrait en même temps collecter des données concernant toute la population, ce qui, pour de bonnes raisons, n'existe pas. En effet, des fichiers contenant des informations sur notre état de santé sont contraires à la protection des données et au droit à l'autodétermination en matière d'information. Or, l'obligation vaccinale exige un tel fichage. Et elle exige un gouvernement qui agisse en conséquence. Elle génère la mise sous tutelle et la surveillance, dans le sens où l'État détermine et contrôle qui doit être vacciné, quand et avec quel produit.

Tout cela a des conséquences. La loi autrichienne sur l’obligation vaccinale prévoit par exemple au moins trois vaccinations, mais le ministre de la Santé peut en ordonner d'autres. Une instance, le gouvernement, est alors au-dessus de tous les citoyens et décide de la manière dont nous devons nous faire soigner. Il s'agit toujours d'une question individuelle au plus haut point. C'est une possibilité. L'autre possibilité est d'apprendre ensemble, d’apprendre précisément ce que cette période de pandémie nous montre. En tant qu'anthroposophe, je crois que rien de ce qui m'arrive ou nous arrive n'est dénué de sens. Et il s'agit de reconnaître ce sens. Une pandémie est comme une maladie de l'humanité. Elle pose aux êtres humains une grande question. Que pouvons-nous apprendre de cette situation ? Que pouvons-nous emporter avec nous ? Le coronavirus se transmet par la respiration. La respiration est quelque chose que nous partageons avec tous les êtres sur cette terre, et qui nous relie à tous. Nous vivons tous ensemble dans cet espace de la respiration, comme nous sommes tous ensemble sur cette terre, dépendants les uns des autres, entièrement responsables les uns des autres. Nous pouvons ainsi commencer à apprendre ce que nous devons de toute façon apprendre les uns pour les autres, pour le climat, pour l'écologie, pour la Terre. À savoir : comment me comporter de manière à ce que ce que je fais soit également bon pour les autres ? Cela peut être pratiqué dès maintenant. Nous pouvons voir que les lois, les contraintes et les obligations ne sont pas adaptées à chaque situation et à chaque personne. Mais je trouverais merveilleux que nous puissions trouver peu à peu le chemin qui nous mènera de la tutelle de l'État à l'apprentissage et à la pratique individuelle, autodéterminée et commune. Développer l'attention dans l'espace de la respiration, dans nos relations les uns avec les autres et avec la terre, ce serait un beau fruit, un beau cadeau de cette pandémie ! J'espère qu’on peut dire de telles choses de cette façon, sans être immédiatement mal compris.


Photo : Gerald Häfner