Percevoir l’être humain

Percevoir l’être humain

27 mai 2020 Florian Osswald & Claus-Peter Röh 7468 vues

Du fait des mesures liées au coronavirus, les établissements d’enseignement sont partout confrontés, de façon radicale, à la technologie numérique. Une de ses caractéristiques est de surpasser les capacités humaines. Si on ne prend pas de la hauteur, on perd de vue les qualités spécifiques de l’être humain.


Déploie ton potentiel et développe-le de plus en plus ! Telle est la devise éducative d’aujourd’hui. On peut ainsi s’éduquer en permanence, découvrir tout par soi-même et créer constamment du neuf. Les exigences sont si grandes que la surcharge en est presque une conséquence logique.

Alain Ehrenberg prévoyait en 2008, dans son livre éponyme, l’épuisement de soi. Pour l’éviter, naît le désir de trouver un chemin permettant de façon certaine de satisfaire aux exigences. Un tel chemin est déterminé par le contrôle et le pouvoir. Ce qui ne peut être calculé ou planifié paraît discutable. Ce que vit le monde aujourd’hui en grand est la mise en place d’un mécanisme de contrôle. Il réveille la vieille croyance selon laquelle l’être humain et le monde sont contrôlables.

Utiliser une technologie permettant la mise en œuvre de ces principes nécessite une condition tacite : il faut qu’elle soit disponible, ce qui, outre le fait que tout le monde n’en est pas familier, exclut tous ceux qui n’y ont pas accès. On court aussi le danger d’être réduit à ce que la technologie « peut » faire. Enfin, il est également discriminatoire que l’accompagnement par un enseignant soit lié à la prospérité au sens de la formule suivante : « Nous donnons la machine aux pauvres et le peuple aux riches ».

Agir par la présence

Cela nous mène vers une autre voie, dont la force réside dans l’offre relationnelle. Les personnes de référence ne punissent pas, ne menacent pas. Elles agissent par leur présence et maintiennent l’offre relationnelle ouverte – indépendamment du comportement de l’autre personne. Leur contrôle est dans la maîtrise de soi. Elles affrontent l’erreur sans remettre en cause la relation et s’adressent constamment à ce qu’il y a de bon en nous.

Dans la lutte pour l’art de l’éducation, face aux dispositions légales et aux cours en ligne, de nouvelles qualités humaines se font jour, pour de brefs instants. Par exemple, quand on relève un grand défi grâce à une initiative amenant enseignants et parents à coopérer : échange de lettres personnelles, appels téléphoniques, transmission d’exercices. Ou bien quand après des semaines d’éloignement une élève se retrouve face à son enseignante. Cette collègue de commenter : « Il y avait de l’attention mutuelle – te voici ! » Dans l’espace d’être à être apparaît brièvement dans la conscience ce à quoi nous sommes par ailleurs accoutumés.

« Vibrer » lors de la rencontre

La description du sens du moi dans la huitième conférence de Rudolf Steiner sur la nature humaine (GA 293) devient claire : l’être humain peut appréhender un élément essentiel de l’autre dans l’immédiateté de la rencontre, dans la « vibration » entre sympathie et antipathie, entre ouverture et prise de conscience. Chez les élèves plus âgés, ces moments de perception renouvelée se font jour dans l’interaction des semaines de cours en ligne et des rencontres réelles.


Responsabilité solidaire

La première condition [de l’entraînement occulte] consiste à se ressentir comme un membre de la vie universelle. […] et chacun ne peut y satisfaire qu’à sa manière. Si je suis éducateur et que mon élève ne répond pas à ce que j’attends de lui, je ne dois pas m’en prendre d’abord à lui mais à moi-même. Je dois avoir si profondément conscience d’être un avec lui que je me demande : « Est-ce que ce qui lui manque ne serait pas la conséquence de ce que j’ai fait avec lui ? » […] Si je cultive de tels sentiments, je considère par exemple un criminel d’un autre œil. Je m’abstiens de tout jugement et je me dis : « Je ne suis qu’un être humain, comme lui. L’éducation dont la vie m’a permis de bénéficier m’a peut-être préservé du sort qui est le sien. » […] J’en viens à penser que quelque chose m’a été donné qui lui a été retiré, que je dois ce qui est bon en moi précisément au fait que lui en a été privé. Et je ne serai alors plus très loin de penser que je ne suis qu’un membre de l’humanité toute entière et que je suis solidairement responsable de tout ce qui se passe.

Source Rudolf Steiner: GA 10

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