« Nous avons besoin de grands artistes »
Né en 1942, Georgy Kavtaradze est responsable de la branche Sophie de Saint-Pétersbourg, traducteur de Rudolf Steiner, fondateur des éditions Damaskus et professeur associé d’histoire économique à l’université de Saint-Pétersbourg. Il nous rend attentif au fait que la Russie ne vit pas au même rythme que l’Occident.
Stanislav Tatlok : Qu’est-ce qu’un anthroposophe moderne ?
Georgy Kavtaradze : Les anthroposophes de la première génération avaient une conscience aiguisée, des convictions solides et un ancrage intérieur que je ne retrouve pas vraiment dans les générations suivantes. Stimulés par la pression de la situation soviétique, ils incarnaient l’anthroposophie. Pour accéder à l’anthroposophie, la nouvelle génération doit vaincre des obstacles inconnus de ma génération. Si elle y parvient, elle développera une force que nous n’avons pas. Cela concerne tout un éventail de personnes.
Dans les sphères de culture contemporaine
Tatlok : Quelle est la mission actuelle de l’anthroposophie en Russie ?
Kavtaradze : Il faut d’après moi trouver des voies qui introduisent l’anthroposophie dans les sphères de la culture contemporaine, sans perte d’identité.
Tatlok : Quelles évolutions positives a connu le mouvement anthroposophique russe ces vingt dernières années ?
Kavtaradze : Les gens ont compris que l’anthroposophie répond à leurs besoins spirituels et que des personnes peuvent être actives dans différentes initiatives, comme par exemple dans le « Séminaire pédagogique nomade », organisé dans différentes villes, qui, depuis 30 ans d’existence en continu, attire sans cesse des personnes intéressées.
Tatlok : Que faudrait-il améliorer dans le mouvement russe ?
Kavtaradez : Il connaît actuellement un processus de croissance ; il doit vaincre son caractère « livresque ».
Tatlok : Certains pensent que, contrairement par exemple au Brésil, la Russie ne serait pas à la hauteur de la prochaine époque de culture. Qu’en pensez-vous ?
Kavtaradze : Qui peut prévoir suffisamment à l’avance les transformations du monde dans 1 500 ans ? La Russie chemine autrement que le monde occidental. Il lui faut à présent imiter l’Occident pour garder sa place dans le monde moderne. À l’Ouest, les gens vivent surtout à partir de l’intellect et travaillent intensément aux contenus de la science spirituelle qui pénètre peu à peu les couches profondes de l’âme. La même démarche empruntée par la Russie conduit à ce que l’anthroposophie reste à la surface de la conscience, sans pénétrer en profondeur. C’est un grand problème. Nous devons trouver notre propre voie.
Tatlok : La société anthroposophique russe gardera-t-elle sa structure ou va-t-elle évoluer vers quelque chose de complètement neuf ?
Kavtaradze : Il ne faut pas la mettre en conserve ! J’ai l’impression que l’essentiel se déroule dans de petits groupes, là où bat la vraie vie.
Être attentif aux modèles dans l’art
Tatlok : Il existe aujourd’hui en Russie une demande de pratiques spirituelles, souvent souhaitées en vue de réussites personnelles.
Kavtaradze : Vous avez devant vous Carmalogic, un ouvrage de 840 pages qui vient de sortir. Il se réfère certes au besoin de spiritualité, mais du point de vue des élites de la société russe et occidentale. L’anthroposophie offre toute une série de pratiques spirituelles dans le domaine de la recherche sur le karma.
Tatlok : Rudolf Steiner voulait voir l’art anthroposophique en harmonie avec les autres arts. Est-ce possible ?
Kavtaradze : Je suis certain que nous y parviendrons, mais nous avons besoin pour cela de grands artistes, comme Gerard Wagner et Albert Steffen.
Tatlok : Quel rôle joue l’art dans notre monde ?
Kavtaradze : Il est perçu comme un divertissement, il nous « charme » sur le plan neurosensoriel mais ne va pas en profondeur. Il a ainsi tendance à disparaître. Or des modèles vont apparaître ici ou là, mais il faudra y être attentif !